Aller au contenu

Les chroniques de Louise

Pas de déterminisme pour l'autodétermination

Nous sommes en pleine clôture du festival électoral, mais, rythmée par des punchlines qui auraient pu faire rêver – à coups de « voir la personne avant le handicap » – la vie continue : les enfants ont toujours besoin d’être compris dans leur fonctionnement et leurs besoins, et d’être accompagnés au sein d’un écosystème qui vit mieux qu’il ne survit. Les enfants sont toujours très rapidement repérés par leurs repéreurs de prédilection, c’est-à-dire leurs parents, bien plus souvent pro-actifs dans l’adaptation de chaque instant que nichés dans un prétendu déni du « problème » – qu’aucune (psych)analyse n’élucidera jamais (malgré sa toujours très reluisante image auprès de médias français biberonnés à une culture élitiste trop peu critique au pays des Lumières (1)).

Les chroniques de Louise, autisme, TND : Pas de déterminisme pour l'autodétermination !

Les enfants autistes sont bien plus nombreux qu’on ne le pensait (2), et ceux qui « s’en sortent » d’après des critères de réussite académique sont donc légion : mais en plus d’être un élément parmi d’autres tout aussi essentiels, des résultats scolaires satisfaisants du point de vue du processus d’apprentissage peuvent être invisibilisés. Pour les obtenir, les enfants ont besoin d’apprendre ce qu’ils ne maîtrisent pas encore, de développer des automatismes, d’appliquer des techniques dans de nouveaux contextes : un grain de poussière dans ces engrenages de l’évolution cognitive et métacognitive, et l’apprentissage se fait mais incomplètement, au service d’applications mal ciblées, ou encore en parfait incognito. Et puis, l’énergie peut manquer pour viser la constance des réussites, pourtant si dépendante de l’inconstance des contextes. Si l’enfant fait équipe avec celle de l’école et son entourage, mettons la connaissance et la prise en compte de son profil et de ses préférences dans la check-list des conditions pour que cette équipe apprenne à gagner (3). Formalisons éventuellement des objectifs scolaires non seulement portant sur la performance en bout de séquences d’étapes à réaliser comme actuellement, mais prévoyons aussi de valoriser l’engagement scolaire, la régulation des besoins dans les situations, la construction de processus d’auto-évaluation de ses actions dirigées vers des buts fonctionnels. Considérons chaque tentative non comme un fonctionnement d’enfant défectueux ou comme un enseignement inutile, mais comme une occasion d’apprendre (pourquoi pas sans erreur ? en graduant les exigences et/ou en trouvant les étayages les plus pertinents) (4).

Alors, pour ceux qui ne semblent pas disposer d’habiletés cognitives suffisantes, partageons la remise en question, changeons d’équipe, de procédures pour apprendre ensemble, ou de système de mesure de la réussite, ce qui est finalement une saine remise en doute profitant à d’autres. Le raisonnement, les connaissances et les réalisations des enfants sans troubles ne seront pas nivelés vers de la médiocrité par la présence à leurs côtés d’enfants présentant un trouble… les conditions pour que chacun puisse comprendre et agir dépendent de nous, pour que nos « petits d’hommes » aient accès à des expériences d’entraide, de travail d’équipe. Les enfants autistes que l’on exclut sont ceux qui « ne parlent pas assez bien » pour être dignes d’être inclus en société, et ce sont justement aussi ceux qui n’ont pas pu vivre d’interactions aussi riches que les autres dans leur milieu scolaire, faute d’interlocuteurs « parlant » les mêmes modalités et stratégies (5).

Les chroniques de Louise, autisme, TND : Pas de déterminisme pour l'autodétermination !

Et les adultes (6) ? Ils « prennent sur eux », autistes ou non, oralisants ou non. Ils composent avec leurs émotions, leurs parcours cabossés, et l’inégalité des chances qui les conditionne encore trop souvent. Si l’on ne peut apprendre à l’école faute d’un environnement suffisamment serein et accessible, qu’en est-il de l’université, des formations pour adultes et du monde du travail, où l’on apprend des autres et apporte sa pierre à l’édifice des projets, des recherches et des lieux de production de richesse matérielle et immatérielle… : demandons-nous en tant que citoyens de toutes conditions biomédicales ce qui nuit d’une part à l’épanouissement de chacun (7) et d’autre part à la participation de tous. Sur ce dernier aspect, ne confondons pas les multiples craintes de l’échec et de la différence et la gestion de la sensorialité ou des sensibilités des pairs, avec les obstacles factuels à cette fameuse participation ; ne confondons pas l’injonction d’une image sociale qui prime sur le fond, semblant impossible à déboulonner, et les limitations qui découlent des troubles de compréhension, du langage, de la parole, de l’organisation… trop souvent passés sous silence – pourquoi n’aurions-nous d’ailleurs pas de Ministère ou de Secrétariat d’État à la Participation (terme universel et moins générateur de barrières que « handicap ») et à la Solidarité ? Donnons-donc à tout un chacun et ce dès le plus jeune âge, les moyens de comprendre sans ambiguïté, d’expérimenter sans crainte d’échouer, de vérifier sans accusation d’anxiété, de s’exprimer même par des canaux inhabituels, d’agir et de prévoir sa vie (8). La société s’exposera alors à de belles surprises… les moyens sont connus, emparons-nous-en.

C’est du travail, et de la même manière qu’un repérage ne donne pas un diagnostic, le bonheur et l’autonomie, même intriqués, ne sont pas l’autodétermination. Les mots guident le sérieux de nos méthodologies, et les personnes et familles doivent pouvoir y être intégrées. Dépistons donc ensemble les besoins de la société… et continuons à désarçonner le monde, qu’il s’agisse de questionner dès le premier cours des étudiants sur « leurs besoins particuliers » ou notre propre pratique, notre propre réaction, après avoir eu une idée… « et si je demandais son avis à quelqu’un qui (pour l’instant) ne parle pas? ».

Louise

Sources

(1) Où l’on évoque la surreprésentation de l’approche psychanalytique érigée en vérité universelle au sein des médias culturels français : un article qui, à plus de dix ans, est malheureusement toujours d’actualité. Quand Jean-Louis Racca éveille notre sens critique. La psychanalyse et les médias, psychanalyse, Jean-Louis Racca (afis.org)

(2) Sur les résultats de travaux de recherche coordonnés et menés en France pour comprendre les trajectoires et les besoins d’enfants autistes appartenant à une cohorte d’ampleur – ELENA 

(3) Pour changer en équipe et gagner avec les enfants le pari d’apports scolaires générateurs d’évolution : la toute récente thèse de Julien Despois abonde d’éclairages expérientiels et techniques. Situations d’inclusion de jeunes enfants avec des troubles du spectre autistique à l’école maternelle : évolution de la participation sociale des élèves et des représentations professionnelles des enseignants – TEL – Thèses en ligne (archives-ouvertes.fr)

(4) Savoir (re)découvrir un site inestimable de données utiles et vérifiées, merci Phantom pour ce travail de fourmi. Ici, sur les moyens maintenant bien documentés pour créer et nourrir en équipe un cercle vertueux qui tient compte du fonctionnement autistique mais pourrait en aider plus d’un… Stratégies éducatives pour favoriser l’inclusion des enfants autistes (comprendrelautisme.com)

(5) Connaissez-vous le meilleur blog au monde ? Il est écrit par une femme extraordinaire et par son fils auteur de poésies merveilleuses (à ne pas confondre avec le remarquable à plusieurs voix), et il nous ouvre à des réflexions qui font bruisser le monde par de l’entraide et de la créativité fort-à-propos. C’est le blog de Marilyn Poueyto et d’Hugo. A tous ceux à qui l’on n’a pas besoin de dire « Chut! » (tracetavoix.com)

(6) Pour plonger dans la réalité multiforme du spectre de l’autisme : quand nos rôles bousculent les représentations mais que nos vie défient les lois de l’épuisement… Un témoignage d’adulte qui se décode et promeut la notion-clé de compréhension, la partie immergée d’un iceberg qui nous concerne tous. Témoignage d’un adulte avec Syndrome d’Asperger, qui est également père d’un adolescent Asperger et d’un enfant « typique » et un mari. (actionetcompetence-alsace.com)

Un autiste en société ! – Une quête au… de Jean-Marc Bonifay – Grand Format – Livre – Decitre

(7) Ecoutons une experte de la langue d’Ovide et de la transmission d’apports qui font la différence, nous parler de la violence de jugements qui s’ajoutent aux défis lancés par l’autisme lui-même… Nous parler de l’évidence de considérer les besoins de tous, parce que chacun peut fonctionner d’une manière justifiant de l’aide dans notre monde sur-stimulant et tellement implicite. Merci, Hélène Vial. « Ils n’ont pas besoin d’aide » – Programme Aspie-Friendly (vidéo n°6) – YouTube

(8) Quand Yves Lachapelle et Martin Therrien-Belec nous guident pour que l’autodétermination constitue bien plus qu’un concept dans l’air du temps des projets personnalisés. Ne nous demandons pas si nous allons le faire, mais travaillons ensemble pour construire comment le faire. Ne remettons pas en question la légitimité des piliers de l’autodétermination, pour tous. Technologies de soutien à l’autodétermination et … – Développement Humain, Handicap et Changement Social / Human Development, Disability, and Social Change – Érudit (erudit.org)